Quand on vit avec une maladie inflammatoire de l’intestin (MII), comme la maladie de Crohn ou la colite ulcéreuse, et qu’on envisage une grossesse, la question la plus fréquente n’est pas comment tomber enceinte, mais comment rester en bonne santé sans mettre le bébé en danger. Beaucoup de femmes croient que de s’arrêter de prendre leurs médicaments est la meilleure façon de protéger leur bébé. Ce n’est pas vrai. En fait, la maladie non contrôlée représente un risque bien plus grand que la plupart des traitements.
La maladie non contrôlée est le vrai danger
Une femme ayant une MII en rechute au moment de la conception a 2,3 fois plus de risques d’accoucher prématurément, 1,8 fois plus de risques d’avoir un bébé de faible poids à la naissance, et 1,6 fois plus de risques de fausse couche ou de mortinaissance qu’une femme en rémission. Ces chiffres viennent d’études sur plus de 10 000 grossesses, publiées par l’Organisation européenne de la maladie de Crohn et de la colite ulcéreuse (ECCO) en 2024. Les médicaments ne sont pas les ennemis ici - c’est l’inflammation qui détruit la muqueuse intestinale, réduit l’absorption des nutriments, augmente le stress oxydatif, et peut même altérer le flux sanguin vers le placenta. Un bébé qui ne reçoit pas assez d’oxygène et de nutriments à cause d’une maladie active a moins de chances de se développer correctement.
Les médicaments sûrs : ce que vous pouvez continuer
Les aminosalicylates, comme la mésalamine et le sulfasalazine, sont les traitements les plus anciens et les mieux étudiés en grossesse. Tous les grands guides cliniques - y compris ceux du Crohn’s & Colitis Foundation et de l’ECCO - recommandent de les continuer sans changement. La mésalamine ne traverse pas le placenta en quantités significatives, et les données sur des milliers de grossesses ne montrent pas d’augmentation des malformations congénitales. Mais attention : certaines formes, comme Asacol® ou Asacol HD, contiennent un excipient appelé dibutyl phthalate (DBP), qui a été lié à des malformations des organes génitaux chez les garçons dans des études animales et humaines. Optez plutôt pour Lialda®, Delzicol® ou d’autres formulations sans DBP.
Le sulfasalazine est aussi sûr, mais il bloque l’absorption de l’acide folique. C’est pourquoi les médecins recommandent une supplémentation en acide folique à 5 mg par jour dès le début de la planification de la grossesse - et pas seulement 0,4 mg comme pour les femmes en bonne santé. Cette dose plus élevée réduit de 70 % le risque de défauts du tube neural, comme la spina bifida.
Les biothérapies : des données rassurantes
Les anti-TNF (infliximab, adalimumab) sont les traitements les plus étudiés en grossesse. Le registre PIANO, qui suit 1 500 grossesses depuis 2007, montre que le taux de malformations congénitales est exactement le même que dans la population générale : environ 2,6 %. Le risque d’accouchement prématuré est aussi similaire. Ces médicaments traversent le placenta surtout au troisième trimestre, ce qui signifie que le bébé peut naître avec une quantité détectable de médicament dans le sang. Mais ce n’est pas dangereux. Les bébés exposés aux anti-TNF peuvent recevoir tous les vaccins normaux, y compris les vaccins vivants comme la rougeole, à l’âge recommandé. Aucune infection sévère n’a été liée à cette exposition.
Le vedolizumab, un traitement qui cible spécifiquement les cellules inflammatoires dans l’intestin, a été étudié chez 103 femmes. Les résultats montrent un taux de naissances vivantes légèrement plus bas au départ - mais ce n’était pas dû au médicament. Quand les chercheurs ont exclu les femmes dont la maladie était active pendant la grossesse, le taux de naissances vivantes est devenu identique à celui des autres groupes. Cela prouve encore une fois : c’est la maladie, pas le médicament, qui cause les problèmes.
L’ustekinumab, un traitement plus récent, a été suivi chez 681 femmes. Les données de l’entreprise et d’une étude européenne de 2024 montrent que les taux de prématurité, de faible poids à la naissance et de malformations sont dans la norme. Même les femmes qui ont reçu une dose d’induction juste avant la conception n’ont pas eu de risque accru.
Les médicaments à éviter
Deux médicaments sont absolument interdits pendant la grossesse : la méthotrexate et la thalidomide. La méthotrexate est un agent tératogène puissant. Elle augmente le risque de malformations majeures entre 17 % et 27 % - des défauts du crâne, du cœur, des membres. La thalidomide, connue pour les déformations des membres dans les années 1960, est tout aussi dangereuse. Aucun médecin ne prescrit ces médicaments à une femme qui veut tomber enceinte.
Les inhibiteurs de JAK, comme le tofacitinib et l’upadacitinib, sont plus complexes. Les données sont limitées. Une petite étude de 11 grossesses avec tofacitinib n’a pas montré de malformations, mais les experts recommandent de l’arrêter au moins une semaine avant la conception. Pour l’upadacitinib, même si 98 grossesses n’ont pas révélé de problème, les lignes directrices européennes conseillent de l’arrêter 4 à 6 semaines avant la conception, car il agit sur une voie biologique impliquée dans le développement embryonnaire. C’est une précaution, pas une certitude de danger - mais mieux vaut éviter.
Planification : le moment clé
La meilleure chose que vous puissiez faire pour votre bébé, c’est d’être en rémission avant de tomber enceinte. Les lignes directrices mondiales de 2023 recommandent d’atteindre une rémission clinique et endoscopique, sans corticoïdes, pendant au moins trois mois avant la conception. Pourquoi ? Parce que les médicaments fonctionnent mieux quand la maladie est calme. Si vous êtes en rechute pendant la grossesse, il est plus difficile de contrôler la maladie, et les options de traitement sont plus limitées.
Il faut aussi planifier la transition des médicaments. Si vous prenez de la méthotrexate, vous devez la remplacer par un traitement sûr au moins trois mois avant de vouloir concevoir. Si vous êtes sous anti-TNF, votre gastro-entérologue peut vous conseiller de maintenir les doses jusqu’à la 30e semaine pour éviter une rechute, puis de les espacer pour réduire l’exposition du bébé. Si vous prenez de la mésalamine, vérifiez que ce n’est pas la forme avec DBP. Et si vous avez un doute, demandez à votre médecin de consulter le registre PIANO - il contient des données sur des milliers de cas réels.
Le suivi pendant la grossesse
Vous n’êtes pas une patiente « à risque » juste parce que vous avez une MII. Vous êtes une patiente qui a besoin d’un suivi spécialisé. Votre gastro-entérologue et votre gynécologue doivent travailler ensemble. Les examens de sang pour surveiller les niveaux de médicaments, les échographies de croissance fœtale, et les tests de fonction intestinale sont souvent nécessaires. Les corticoïdes, comme la prednisone, doivent être évités au premier trimestre si possible : ils augmentent le risque de fentes labiales de 1,4 à 2,3 fois. S’ils sont nécessaires, ils sont utilisés à la dose la plus faible possible et le plus brièvement possible.
À l’accouchement, vous pouvez généralement continuer tous vos médicaments. Il n’y a aucune raison d’arrêter les biothérapies juste avant l’accouchement. Et après la naissance, vous pouvez allaiter. Les médicaments comme la mésalamine, les anti-TNF et le vedolizumab ne passent pratiquement pas dans le lait maternel. Le sulfasalazine peut passer en très petites quantités, mais les études ne montrent aucun effet sur le bébé. Les médecins recommandent simplement de surveiller l’éventuelle apparition d’une diarrhée ou d’une éruption cutanée chez le nourrisson - ce qui est extrêmement rare.
Les nouvelles avancées et l’avenir
Les recherches continuent. En mai 2024, la FDA a approuvé le mirikizumab, un nouveau traitement, avec une exigence de suivi des grossesses. En septembre 2024, les premiers résultats d’un essai randomisé comparant le vedolizumab aux anti-TNF chez 350 femmes enceintes devraient être publiés. Des études comme la PLACENTA (NCT05134567) cherchent à prédire comment chaque médicament traverse le placenta, pour personnaliser les traitements. Un outil de prise de décision partagée, qui aidera les patientes à comprendre les risques et bénéfices en fonction de leur profil, sera disponible au deuxième trimestre 2025.
Les entreprises pharmaceutiques investissent des millions pour mieux comprendre ces questions. Janssen a financé 4,2 millions de dollars pour étendre le registre de l’ustekinumab. Takeda a promis 3,7 millions pour suivre les enfants exposés au vedolizumab jusqu’à l’âge de deux ans. Ce n’est pas du marketing - c’est une réponse à un besoin urgent : des femmes veulent avoir des enfants, et elles méritent des réponses claires.
Que faire maintenant ?
Si vous avez une MII et que vous pensez à une grossesse :
- Ne vous arrêtez pas de prendre vos médicaments sans parler à votre médecin.
- Planifiez la grossesse au moins 3 à 6 mois à l’avance.
- Assurez-vous que votre maladie est en rémission, sans corticoïdes.
- Verifiez la forme de votre mésalamine : évitez Asacol HD, privilégiez Lialda.
- Prenez 5 mg d’acide folique par jour.
- Organisez une consultation conjointe entre votre gastro-entérologue et votre gynécologue.
- Ne craignez pas les biothérapies - elles sont parmi les traitements les plus sûrs.
- Ne confondez pas « nouveau » avec « dangereux » : les données sur l’ustekinumab et le vedolizumab sont rassurantes.
La vérité est simple : une femme avec une MII contrôlée a autant de chances qu’une femme en bonne santé d’avoir un bébé en bonne santé. Le plus grand danger n’est pas dans la pilule. Il est dans l’inaction.
Puis-je continuer à prendre mes médicaments pendant toute la grossesse ?
Oui, pour la majorité des traitements utilisés contre la MII. Les aminosalicylates (sans DBP), les anti-TNF, le vedolizumab et l’ustekinumab peuvent être pris tout au long de la grossesse. L’arrêt prématuré augmente le risque de rechute, ce qui est plus dangereux pour le bébé que le médicament lui-même. Seuls les inhibiteurs de JAK (comme le tofacitinib) doivent être arrêtés avant la conception, et les corticoïdes doivent être limités au premier trimestre.
Les médicaments contre la MII peuvent-ils causer des malformations chez le bébé ?
Les données actuelles ne montrent pas d’augmentation du risque de malformations congénitales avec les traitements recommandés. Le taux de malformations chez les bébés exposés aux anti-TNF est de 2,6 %, exactement comme dans la population générale. Pour la mésalamine sans DBP, les études sur plus de 600 grossesses ne révèlent aucun lien. Le seul médicament clairement lié à des malformations est la méthotrexate - qui est strictement interdite pendant la grossesse.
Quelle est la meilleure forme de mésalamine à prendre pendant la grossesse ?
Évitez les formes contenant du dibutyl phthalate (DBP), comme Asacol® ou Asacol HD. Ces formulations ont été associées à des malformations des organes génitaux chez les garçons dans des études animales et humaines. Privilégiez Lialda®, Delzicol®, Mesalazine Sandoz® ou toute autre version sans DBP. Vérifiez toujours la liste des excipients avec votre pharmacien.
Puis-je allaiter si je prends des médicaments pour la MII ?
Oui, l’allaitement est sûr avec la plupart des traitements pour la MII. La mésalamine, les anti-TNF, le vedolizumab et l’ustekinumab ne passent pratiquement pas dans le lait maternel. Le sulfasalazine peut passer en très faibles quantités, mais aucun effet néfaste n’a été observé chez les nourrissons. Les médecins recommandent simplement d’observer votre bébé pour une éventuelle diarrhée ou éruption cutanée - ce qui est extrêmement rare.
Quand dois-je arrêter les médicaments avant de tomber enceinte ?
Vous n’avez pas besoin d’arrêter la plupart des médicaments. Mais si vous prenez de la méthotrexate ou de la thalidomide, vous devez les arrêter au moins trois mois avant la conception. Pour les inhibiteurs de JAK comme le tofacitinib, arrêtez-les au moins une semaine avant. Pour les autres traitements, continuez-les - et travaillez avec votre médecin pour être en rémission avant la conception. L’arrêt prématuré augmente le risque de rechute, ce qui est plus dangereux que le médicament.
Les vaccins pour bébés sont-ils sûrs si la mère a pris des biothérapies pendant la grossesse ?
Oui, les vaccins vivants comme la rougeole, les oreillons et la rubéole (ROR) sont tout à fait sûrs pour les bébés exposés aux anti-TNF ou à d’autres biothérapies pendant la grossesse. Les lignes directrices européennes de 2024 confirment qu’il n’y a aucun risque accru d’infection ou de réaction au vaccin. Les bébés doivent recevoir leurs vaccins selon le calendrier standard.
1 Commentaires
Je sais pas pourquoi on fait autant d’efforts pour rassurer les femmes… Mais si on creuse un peu, tous ces médicaments sont testés sur des populations américaines, pas sur nous. Et vous croyez vraiment que les labos pensent à votre bébé ? Ils pensent à leur profit. Le vrai danger, c’est l’industrie pharmaceutique, pas la maladie.